45
Frank
« Il n’y a pas de justice dans la Mort. » Ces mots n’arrêtaient pas de résonner dans la tête de Frank.
Le géant doré ne lui faisait pas peur. L’armée d’ombres non plus. Mais la pensée de libérer Thanatos lui donnait envie de se rouler en boule. Ce dieu avait pris sa mère.
Frank comprenait ce qu’il devait faire pour briser ces chaînes. Mars l’avait averti. Il lui avait expliqué pourquoi il aimait tant Emily Zhang : « Elle faisait toujours passer son devoir en premier. Avant toute chose. Avant sa vie, même. »
À présent, c’était au tour de Frank.
Il sentit dans sa poche la chaleur de la médaille du sacrifice de sa mère. Il comprenait enfin le choix qu’elle avait fait, de sauver ses camarades au prix de sa vie. Il comprenait ce que Mars avait essayé de lui dire : « Le devoir. Le sacrifice. Il y a du sens à ces valeurs. »
Dans la poitrine de Frank, une boule de colère et de rancune se dénoua – une boule de souffrance qu’il portait en lui depuis l’enterrement. Il comprit pourquoi sa mère n’était jamais revenue. Certaines choses méritent qu’on meurt pour elles.
— Hazel, dit-il d’une voix qu’il s’efforça de garder ferme. Ce paquet que tu gardes pour moi, j’en ai besoin.
Hazel le regarda avec désarroi. Perchée sur Arion, avec ses cheveux noirs qui tombaient sur ses épaules et l’auréole de brume glacée qui la nimbait, elle avait la beauté puissante d’une reine.
— Frank, dit-elle. Non. Il doit y avoir un autre moyen.
— S’il te plaît, insista-t-il. Je sais ce que je fais.
Thanatos sourit et leva ses poignets menottés.
— Tu as raison, Frank Zhang. Il faut des sacrifices.
Super. Si la Mort approuvait son plan, Frank se dit qu’il ne risquait pas d’en apprécier l’issue.
Alcyonée le géant avança en faisant trembler le sol sous ses pattes de reptile.
— De quel paquet parles-tu, Frank Zhang ? Tu m’as apporté un cadeau ?
— Rien pour toi, Abdos d’Or, à part un max de souffrances.
Le géant éclata de rire.
— Voilà qui est parlé en vrai fils de Mars ! s’écria-t-il. Dommage que je doive te tuer. Et celui-là… Ouh là là ! Depuis le temps que j’attends de rencontrer le célèbre Percy Jackson !
Le géant sourit. Ses dents d’argent lui faisaient une bouche en calandre de voiture.
— J’ai suivi ton parcours, fils de Neptune, dit Alcyonée. Ton combat avec Cronos ? Bien joué. Gaïa te déteste plus que tout autre… excepté peut-être cet arriviste de Jason Grace. Je regrette de ne pas pouvoir te tuer tout de suite, mais mon frère Polybotès veut te garder comme animal de compagnie. Il trouve que ce serait marrant d’aller tuer Neptune en tenant son fils préféré en laisse. Après, Gaïa a des plans pour toi, bien sûr.
— Je suis flatté. (Percy brandit Turbulence.) Mais en fait je suis le fils de Poséidon. Je viens de la Colonie des Sang-Mêlé.
Un vent d’agitation parcourut les rangs des fantômes. Certains dégainèrent leurs épées et levèrent leurs boucliers. D’un geste de la main, Alcyonée les calma.
— Grec, romain, peu importe, dit le géant avec nonchalance. On écrasera les deux camps sous nos talons. Vous voyez, les Titans ont vu trop petit. Leur plan était d’anéantir les dieux dans leur nouvelle base, en Amérique. Nous autres géants, nous sommes plus avisés ! Pour tuer une mauvaise herbe, il faut l’arracher avec ses racines. En ce moment même, pendant que mes troupes détruisent votre petit camp romain, mon frère Porphyrion s’apprête à livrer la véritable bataille dans les terres anciennes ! Nous briserons les dieux à leur source.
Les spectres frappèrent leurs épées contre leurs boucliers, créant un écho qui se répercuta de montagne en montagne.
— La source ? fit Frank. Vous voulez dire en Grèce ?
Alcyonée gloussa.
— Ne t’inquiète pas pour ça, fils de Mars. Tu ne seras plus là pour assister à notre victoire finale. Je remplacerai Pluton sur le trône des Enfers. J’ai déjà la Mort sous ma garde. Et avec Hazel Levesque à mon service, je posséderai aussi toutes les richesses de la terre !
— Désolée, dit Hazel en serrant sa spatha, mais je ne suis au service de personne.
— Ah, mais tu m’as donné la vie ! C’est vrai, nous avions espéré éveiller Gaïa pendant la Seconde Guerre mondiale. Ça aurait été splendide ! Mais en fait, le monde va presque aussi mal maintenant. Bientôt, votre civilisation sera balayée. Les Portes de la Mort s’ouvriront. Ceux qui nous servent ne périront jamais. Morts ou vivants, vous trois rejoindrez les rangs de mon armée.
Percy secoua la tête.
— Tu rêves, Abdos d’Or.
— Attends. (Hazel éperonna Arion, qui se rapprocha du géant.) C’est moi qui ai fait sortir ce monstre de terre. Je suis la fille de Pluton. C’est à moi de le tuer.
— Ah, petite Hazel ! (Alcyonée planta son gourdin dans la glace. Ses cheveux incrustés de joyaux brillaient de mille feux.) Tu es sûre que tu ne veux pas nous rejoindre de ton plein gré ? Tu serais un élément des plus… précieux. Pourquoi mourir une deuxième fois ?
La colère enflamma les yeux d’Hazel. Elle tourna la tête vers Frank et sortit de sa poche de veste le tison emballé de tissu.
— Tu es sûr ?
— Ouais, affirma Frank.
— Tu es mon meilleur ami, Frank. J’aurais dû te le dire. (Elle lui lança le morceau de bois.) Fais ce que tu as à faire. Percy ? Peux-tu le protéger ?
Percy balaya du regard les rangs de légionnaires fantômes.
— Contre une petite armée ? Pas de problème.
— Alors je m’occupe d’Abdos d’Or.
Sur ces mots, elle chargea.